Le point – Assurance-vie Le retour en grâce de l’eurocroissance
Stratégique. Ces produits proposent une garantie au terme. Sans pour autant faire l’unanimité.
Par Laurence David Delain
Par Laurence David Delain
Si le capital est garanti, ça m’évitera de l’enterrer, de faire une carte, etc.
«Le niveau actuel des taux favorise clairement le déploiement des fonds eurocroissance. Les étoiles semblent enfin s’aligner pour qu’ils occupent une place dans la stratégie de placement des Français, estime Sarah Bouquerel, directrice des activités et relations stratégiques avec La Banque postale de CNP Assurances. Nous sommes convaincus du rôle qu’ils peuvent jouer face aux enjeux de durabilité. » Pour preuve, son groupe a lancé en octobre une nouvelle offre, « EuroCroissance 100 – 10 ans », qui permet de contribuer au financement de la transition énergétique et sociale. Créés en 2014, puis partiellement remodelés en 2019 par la loi Pacte, les fonds eurocroissance ont vocation à ouvrir une troisième voie entre les fonds en euros classiques et les supports
diversifiés en unités de compte (UC) en proposant une garantie du capital allant de 100 % à 80 % selon les offres (en deçà de 100 %, on parle de fonds « croissance »), et non plus permanente, comme pour le fonds en euros, mais à échéance (huit ans minimum et jusqu’à quarante parfois). Cet horizon de placement permet à l’assureur de dynamiser sa gestion tout en protégeant le capital à terme.
« L’un des principaux avantages d’un fonds eurocroissance est, par la polyvalence que lui confère sa double composante diversifiée et prudente, de pouvoir s’adapter à tous les contextes économiques », observe Guillaume Le Bellego, directeur commercial de l’Unep (Union nationale d’épargne et de prévoyance), une structure associative qui distribue le fonds Prepar Avenir II.
Ces supports alternatifs « ont toute leur place dans une stratégie diversifiée suivant la règle des trois tiers, combinant dans des proportions équivalentes fonds en euros, solutions alternatives et unités de compte. Dès 2014, nous avons conçu une offre, fermée depuis, qui a été remplacée par d’autres fonds croissance qui continuent de s’adapter aux nouveaux enjeux financiers », abonde Hugues Aubry, membre du comité exécutif de Generali France, chargé du marché de l’épargne et de la gestion de patrimoine.
Conjoncture propice
Dans leur version actuelle, les fonds eurocroissance fonctionnent quasi comme des produits structurés dont la prise de risque (correspondant à leur quote-part diversifiée) est endossée par l’assureur, et non par l’assuré. « On peut définir l’eurocroissance comme une unité de compte avec un capital garanti à son échéance sans équivalent avec l’offre d’unités de compte classique, puisque l’on peut trouver dans un même fonds des produits cotés et non cotés », résume Daniel Collignon, directeur général de Spirica (Crédit agricole Assurances).
Plombés au moment de leur lancement par la chute des taux obligataires, les fonds eurocroissance bénéficient aujourd’hui d’une meilleure marge de manœuvre pour rentabiliser leur fraction sécuritaire tout en capitalisant au long cours sur les opportunités que ménagent les autres composantes de leur poche diversifiée. « Le dynamisme de l’allocation d’actifs de nos offres, positionnées, compte tenu de la hausse des taux courts, sur des supports à rendement attractif et à risque maîtrisé, nous permet d’être plus réactifs dans un environnement de marché volatil », confirme Cédrik de Ternay, directeur des investissements de Generali France.
« L’engagement sur le long terme nous permet d’investir dans des classes d’actifs plus illiquides, moins volatiles, donc décorrélées des marchés financiers, disposant d’un potentiel de performance particulièrement intéressant, à l’image de l’immobilier HQE, des forêts ou des infrastructures renouvelables », souligne Corinne Calendini, directrice générale d’Axa Épargne Retraite et Prévoyance Individuelles, qui se félicite d’un rendement moyen de 3 % net sur les cinq dernières années de son fonds croissance, soit, sur la même période, une performance supérieure à celle des fonds en euros classiques.
Rigidité La réalité complexe des offres eurocroissance contient pourtant quelques bémols. Souvent coûteux en frais, ces supports affichent une rentabilité fluctuante, calculée sur la base de durées d’engagement variables et parfois dopée par une fraction des plus-values latentes des actifs généraux de la compagnie. Cette performance ne peut être mise sur le même plan que celle, annuelle et définitivement captée, des fonds en euros garantis à tout moment, appelés eux aussi à profiter de la remontée des taux obligataires (2,50 % de rendement moyen attendu en 2023, contre 1,90 % un an plus tôt). « Du point de vue de l’épargnant et compte tenu des incertitudes de la vie, l’eurocroissance nous semble trop contraignant, juge Guillaume Rosenwald, directeur Épargne Retraite du groupe MACSF. La pandémie nous a montré combien la possibilité d’effectuer à tout moment des rachats sur son contrat était importante, et il nous semble préférable d’associer un fonds en euros au capital garanti à une fraction d’UC, plutôt que d’opter pour un fonds eurocroissance. » Fabrice Bagne, directeur général adjoint de BNP Paribas Cardif, responsable France, Luxembourg, estime que « le choix entre un fonds en euros classique et un eurocroissance dépend du profil du client, de sa situation patrimoniale, de ses souhaits ». BNP Paribas Cardif a fait le choix de limiter l’accès de l’offre Eurocroissance Projet/Retraite aux seuls contrats ouverts avant le 1er octobre 2020.
Intérêt relatif
L’Afer, qui s’était lancée sur ce marché avec un fonds aux rendements très fluctuants (+ 13,3 % en 2019 et + 2,42 % en 2020, mais – 0,14 % en 2021 et – 11,38 % en 2022), a également décidé d’en suspendre la souscription. « Le lancement d’un nouveau fonds eurocroissance fait partie de nos sujets d’étude », précise toutefois Gérard Bekerman, président de l’Afer.
Considérant pour sa part que ces offres, qui sont « moins exigeantes en marge de solvabilité qu’un support en euros classique au capital garanti à tout moment, ont surtout de l’intérêt pour les compagnies », Cyrille Chartier Kastler, fondateur du site Good- valueformoney.eu, ne voit « vraiment pas comment on peut faire valoir une protection de 80 % de l’épargne investie nette de frais à huit ans, qui, en prenant l’hypothèse d’une inflation moyenne de 4 % par an, revient à pouvoir garantir 137 % nets de frais sur cet horizon ». Les données consolidées par cet expert ne sont en effet pour l’heure guère encourageantes. « En 2022, nous avons relevé une performance financière brute moyenne de 2,23 % pour les fonds en euros classiques, contre – 8,01 % pour les fonds eurocroissance, lesquels comportent en moyenne davantage d’actions que les supports classiques (22,5 %, contre 9,1 %) et moins d’obligations (68,8 %, contre 76,4 %). » §
Illustration : Tartrais pour « Le Point »